Samedi 20 Septembre, balade littéraire dans le cadre des
Journées du Patrimoine :
"Arbrajus et arbres remarquables"
Départ 18H00 devant la librairie Nicod
Cela faisait
deux ans que nous vivions dans la petite ville Nous avions l’impression de
l’avoir parcourue dans tous les sens et d’y avoir découvert toutes les rues et
ruelles, toutes les vieilles maisons et quartiers chargés de mémoire, mais une
balade littéraire avec un bon guide allait, sans aucun doute, nous faire
découvrir d’autres petits trésors. Le thème de la soirée était « l’arbre à
jus ». C’est du moins ce que j’avais cru comprendre.
Dans notre
jardin, il y avait un arbre. Depuis combien d’années était-il là ? C’était
un vieil arbre, dont il avait fallu couper plusieurs branches mortes pour qu’il
retrouve force et vigueur et n’offre pas trop de prise aux grands vents et à la
neige lourde. Moyennant quoi, le vieil arbre offrait sa récolte de prunes à
l’automne. De quoi faire quelques tartes et pots de confiture. Je ne
connaissais le jus de prunes que sous sa forme distillée, dans des bouteilles
blanches fermées de bouchons de liège récupéré, une quintessence de l’odeur des
prunes et de l’ardeur du soleil d’été. Ce n’était pas un breuvage à mettre dans
tous les gosiers et, du reste, ce n’est pas à cela qu’étaient destinées les
prunes de notre vieil arbre.
Récemment,
j’ai entendu l’expression « arbre à jus ». Mais ce n’était pas pour
notre prunier, de toute évidence. Ce n’était même pas notre arbre, d’ailleurs,
puisque quelqu’un d’autre l’avait planté et soigné pendant sa longue vie dans
le petit jardin. Quartier ouvrier, jardins ouvriers, ce n’était guère la place
des beaux fruitiers que l’on cultive dans un verger. Un verger, c’est à la
campagne, à côté de l’une de ces fermes qui demeurent encore dans la petite
ville. Ça occupe de la bonne terre où l’on aurait pu planter patates, salades
et haricots et on sait que, sous les arbres, rien ne pousse. S’il existait
quelque part l’arbre à jus, c’était plutôt à la périphérie de la petite ville,
là où l’on trouvait encore des traces de la vie paysanne de jadis. Ou même,
pourquoi pas, dans la forêt ?
Mais l’arbre à
jus avait évidemment quelque chose d’unique. Il ne pouvait en être autrement.
Sinon on aurait dit « un arbre à jus », ou « le verger des
arbres à jus ». Il existait bien une marque de jus de fruits nommée ainsi,
mais cela n’avait évidemment rien à voir. Enfin bref, quand on ne sait rien, on
n’a qu’à se laisser guider par ceux qui savent et, visiblement, Évelyne
Boilaux, la guide, savait de quoi il retournait.
Le soir venu,
une vingtaine de pèlerins s’étaient rassemblés, dûment équipés de lampes de
poche comme on le leur avait prescrit. Enfin, ce n’étaient pas tout à fait des
lampes de poche, puisqu’ils les portaient sur le front comme les randonneurs
nocturnes ou les spéléologues. Ce détail me surprit quelque peu, mais j’étais
bien équipé en lampes et je rangeai ma rampe lumineuse pour ceindre ma tête
d’une petite frontale comme le faisaient les autres. Quand on arrive dans une
nouvelle communauté, il convient d’adopter les mêmes manières que tout le monde
pour montrer sa bonne volonté de s’intégrer. Après un petit délai accordé aux
éventuels retardataires, Évelyne, que j’avais cru d’abord perchée sur un banc,
se mit en tête de colonne et tout le monde lui emboîta le pas. Mais non, elle
n’était pas montée sur un banc, car, quand elle se mit en route, je m’aperçus
qu’en fait elle nous dépassait tous de deux têtes. Elle doit porter des
échasses, pensai-je, jusqu’à ce que je me rende compte, en doublant quelques
personnes pour m’en rapprocher, qu’elle ne portait que des bottes. Et à talon
plat.
Cette Évelyne
est vraiment d’une taille imposante, me dis-je, presque anormale, et ses bottes
me font penser à un conte de Perrault. Bon sang ! Mais oui ! Ce sont
des bottes de sept lieues ! Et nous tous derrière elle, en cortège, avec
nos petites lucioles sur le front, nous avons l’air d’une bande d’enfants
perdus. Ou au mieux d’une maternelle en classe promenade, marchant au pas
derrière la maîtresse d’école. Mais non, qu’est-ce que je raconte ? Pourvu
qu’elle ne sorte pas une flûte, comme le joueur de flûte de Hamelin, et ne nous
emmène pas tous nous noyer dans le Doubs !
Mais au lieu
de cela, notre guide nous fournit fort aimablement des explications à chaque
fois que notre curiosité nous incitait à lui poser des questions. J’étais
presque rassuré. Cependant, me souvenant du Petit Poucet, je prétextai un lacet
à refaire pour ramasser quelques cailloux blancs dans un massif de fleurs et
j’en emplis mes poches, pour le cas où. On n’est jamais assez prudent.
Nous nous
arrêtâmes et une dame se proposa pour nous lire un texte. C’était un extrait du
livre de Tolkien, le Seigneur des Anneaux. La lectrice avait choisi le passage
où Merry et Pippin se réfugient parmi les Ents. Pour ceux et celles qui ne sont
pas familiers du monde de Tolkien, je traduis. Deux êtres de très petite
taille, des Hobbits, sortes de Tom-Pouce, sont poursuivis par d’horribles et
sanguinaires créatures ; ils se réfugient dans les branches d’un arbre et
s’aperçoivent alors que celui-ci peut parler, bouger et même se déplacer avec
ses semblables. Personnellement, j’ai toujours beaucoup été charmé par ce
conte, mais, ce soir-là, dans la lumière crépusculaire, entre chien et loup, je
ne pus m’empêcher de frissonner à chaque fois que nous trouvions un arbre sur
le passage de notre petit cortège. Non, ce n’étaient pas des Ents, c’était le
saule pleureur de telle propriété ou l’érable pourpre de telle autre. Mais un
souffle de brise, et ces arbres s’animaient comme les Ents inventés par
Tolkien.
À mesure que
l’obscurité se faisait plus épaisse, Évelyne me semblait de plus en plus
grande, à la façon d’Alice au Pays des Merveilles ; elle nous guidait
maintenant vers les Combes Saint-Germain. Après la dernière maison, nous nous
faufilâmes sur le chemin de terre qui prolongeait la route, esquivant la
barrière qui en interdisait l’accès aux voitures. Cette fois, nos lampes
frontales devenaient vraiment utiles, nous évitant de marcher dans une ornière
pleine d’eau ou de nous faire accrocher la jambe par une ronce traîtresse. Je
m’apprêtais à poser discrètement mon premier caillou, quand une nouvelle pause
lecture fut ordonnée. Et, Ô surprise, le lecteur qui nous emmena avec lui en
visite dans son livre avait choisi les Contes de Perrault. Et le Petit
Poucet ! ce n’était pas possible que cela fût une coïncidence. Bien
que me sentant quelque peu ridicule, je décidai de continuer quand même mon
discret travail de balisage.
Après une
centaine de mètres, la guide nous fit tourner à droite et emprunter un sentier
plutôt sommaire ; en fait, il s’agissait plus d’une trace dans les herbes
hautes. Je pris soin de poser un autre caillou et repris ma place dans la file.
Nous traversâmes un champ, puis le sentier nous conduisit droit dans les
fourrés, pour nous faire franchir un fossé, qui n’était autre que l’ancien
canal d’irrigation ; plus d’un
faillit glisser avant d’arriver au fond, définitivement à sec ; enfin, la
sente se transforma en raidillon pour nous mener, au milieu des éboulis,
jusqu’au pied d’une falaise. Après avoir longé celle-ci sur quelques mètres,
nous nous retrouvâmes devant une cavité qui semblait profonde. L’ouverture ne
faisait même pas un mètre de diamètre et, pour y pénétrer, il aurait fallu
ramper. Une voix s’exclama :
– C’est la grotte du
Renard.
– Mais non, c’est la
grotte de la fenêtre !
– On y allait quand
j’étais gosse.
– Mais ça avait été muré,
non ? À cause des accidents.
– Eh bien le mur a dû être
démoli.
Une voix
puissante résonna derrière nous :
– Allez-y, vous pouvez
entrer, il n’y a pas de danger. Il y a une surprise au bout du chemin. Moi, je
suis bien trop grande pour vous suivre, je vous attends à la sortie.
Allons ! Pressons !
Je suis
persuadé que la majorité d’entre nous n’étaient pas rassurés, mais nous avions
plus peur de la guide et de sa voix impérieuse que de l’obscurité de la grotte.
Nous nous enfilâmes donc dans l’étroite galerie, à quatre pattes, à la queue
leu leu, pour un trajet qui nous sembla bien long. Mais rebrousser chemin
aurait été vraiment problématique, il aurait fallu aller tous à reculons faute
d’assez d’espace pour se retourner. Évelyne savait certainement où elle nous
envoyait, c’est une personne dont la compétence est reconnue et qui maîtrise
bien son sujet. Mais, pensais-je, elle aurait pu nous dire de mettre de vieux
habits, les genoux des pantalons vont en prendre un coup. Enfin, si le but de
la balade est de nous faire découvrir le Valentigney insolite, elle a vraiment
mis dans le mille.
Nos frontales
nous donnaient une apparence de mineurs de fond. Mais nous ne pouvions pas nous
voir, évidemment, je n’apercevais que les semelles et parfois l’arrière-train
de la personne qui me précédait. La situation était vraiment ridicule.
Pourtant, personne ne songeait à rire.
Enfin, nous
débouchâmes dans une salle, où l’on pouvait se tenir debout. Avec des soupirs
de soulagement, tout le monde se redressa et se frotta sommairement les genoux
un peu douillets, tapotant pour faire partir la boue et quelques cailloux
incrustés. Ensuite, nous regardâmes autour de nous. La salle était assez vaste
pour que nous nous y tenions tous sans être serrés. Au fond se dressait un
arbre sec, tout blanc sans son écorce. Au pied de son tronc, entre deux
racines, une source coulait doucement dans une petite vasque de pierre, dont le
trop-plein allait se perdre dans une crevasse. À côté était posée une boroille.
Quelqu’un dit :
– L’arbre à jus !
Et tout le
monde fut frappé par l’évidence. Nous avions trouvé l’arbre à jus. Ce n’était
pas un arbre fruitier, c’était une source issue d’un arbre, peut-être d’un
arbre sacré. Depuis combien de temps était-il là ? Comment y était-il
arrivé ? On resta quelque temps à échafauder des hypothèses, certains
tendirent leurs mains en coupe pour boire cette eau merveilleuse, puis l’un
d’entre nous demanda s’il n’était pas temps de s’en retourner. Un autre, plus
curieux, nous appela après avoir découvert, dans un recoin sombre de la grotte,
un escalier de pierre qui montait jusqu’à une trappe. Il fallait essayer, et la
perspective de ramper dans la galerie en sens inverse ne souriait à personne.
Mais tout le monde se sentait maintenant bien vaillant et de taille à affronter
d’autres mystères.
L’intrépide se
dévoua pour passer le premier. Arrivé à la trappe, il s’apprêtait à essayer de
la soulever quand, de l’autre côté, une main l’ouvrit complètement. On entendit
un bref échange de phrases, puis ce qui semblait un éclat de rire, et notre
éclaireur disparut dans l’issue bienvenue. Chacun alors lui emboîta le pas et
toute la bande se retrouva dans une cave éclairée d’une ampoule jaunâtre, à
l’abat-jour fait de toiles d’araignées.
Évelyne,
redevenue de taille normale, nous expliqua :
– Nous sommes dans la cave
du musée de la paysannerie.
Des questions
fusèrent, à propos de l’arbre à jus.
– Oui, c’était bien
l’arbre à jus.
– Mais ce n’était pas du
jus, c’était de l’eau !
– Avec un très léger
parfum de fruit...
– Ce n’était pas de l’eau
ordinaire, précisa notre guide. Dans les temps anciens, c’était un élixir de
longue vie, une source miraculeuse !
Et, comme elle
n’a jamais manqué de sens de l’humour :
– Vous ne vous êtes jamais
demandé d’où me vient mon énergie ? Mon secret, vous le découvrirez en
prononçant mon nom à haute voix. Mais pour l’instant, venez vous réconforter en
haut. Il y a des gâteaux et des jus de fruits.
François HEGWEIN
Cela faisait
deux ans que nous vivions dans la petite ville Nous avions l’impression de
l’avoir parcourue dans tous les sens et d’y avoir découvert toutes les rues et
ruelles, toutes les vieilles maisons et quartiers chargés de mémoire, mais une
balade littéraire avec un bon guide allait, sans aucun doute, nous faire
découvrir d’autres petits trésors. Le thème de la soirée était « l’arbre à
jus ». C’est du moins ce que j’avais cru comprendre.
Dans notre
jardin, il y avait un arbre. Depuis combien d’années était-il là ? C’était
un vieil arbre, dont il avait fallu couper plusieurs branches mortes pour qu’il
retrouve force et vigueur et n’offre pas trop de prise aux grands vents et à la
neige lourde. Moyennant quoi, le vieil arbre offrait sa récolte de prunes à
l’automne. De quoi faire quelques tartes et pots de confiture. Je ne
connaissais le jus de prunes que sous sa forme distillée, dans des bouteilles
blanches fermées de bouchons de liège récupéré, une quintessence de l’odeur des
prunes et de l’ardeur du soleil d’été. Ce n’était pas un breuvage à mettre dans
tous les gosiers et, du reste, ce n’est pas à cela qu’étaient destinées les
prunes de notre vieil arbre.
Récemment,
j’ai entendu l’expression « arbre à jus ». Mais ce n’était pas pour
notre prunier, de toute évidence. Ce n’était même pas notre arbre, d’ailleurs,
puisque quelqu’un d’autre l’avait planté et soigné pendant sa longue vie dans
le petit jardin. Quartier ouvrier, jardins ouvriers, ce n’était guère la place
des beaux fruitiers que l’on cultive dans un verger. Un verger, c’est à la
campagne, à côté de l’une de ces fermes qui demeurent encore dans la petite
ville. Ça occupe de la bonne terre où l’on aurait pu planter patates, salades
et haricots et on sait que, sous les arbres, rien ne pousse. S’il existait
quelque part l’arbre à jus, c’était plutôt à la périphérie de la petite ville,
là où l’on trouvait encore des traces de la vie paysanne de jadis. Ou même,
pourquoi pas, dans la forêt ?
Mais l’arbre à
jus avait évidemment quelque chose d’unique. Il ne pouvait en être autrement.
Sinon on aurait dit « un arbre à jus », ou « le verger des
arbres à jus ». Il existait bien une marque de jus de fruits nommée ainsi,
mais cela n’avait évidemment rien à voir. Enfin bref, quand on ne sait rien, on
n’a qu’à se laisser guider par ceux qui savent et, visiblement, Évelyne
Boilaux, la guide, savait de quoi il retournait.
Le soir venu,
une vingtaine de pèlerins s’étaient rassemblés, dûment équipés de lampes de
poche comme on le leur avait prescrit. Enfin, ce n’étaient pas tout à fait des
lampes de poche, puisqu’ils les portaient sur le front comme les randonneurs
nocturnes ou les spéléologues. Ce détail me surprit quelque peu, mais j’étais
bien équipé en lampes et je rangeai ma rampe lumineuse pour ceindre ma tête
d’une petite frontale comme le faisaient les autres. Quand on arrive dans une
nouvelle communauté, il convient d’adopter les mêmes manières que tout le monde
pour montrer sa bonne volonté de s’intégrer. Après un petit délai accordé aux
éventuels retardataires, Évelyne, que j’avais cru d’abord perchée sur un banc,
se mit en tête de colonne et tout le monde lui emboîta le pas. Mais non, elle
n’était pas montée sur un banc, car, quand elle se mit en route, je m’aperçus
qu’en fait elle nous dépassait tous de deux têtes. Elle doit porter des
échasses, pensai-je, jusqu’à ce que je me rende compte, en doublant quelques
personnes pour m’en rapprocher, qu’elle ne portait que des bottes. Et à talon
plat.
Cette Évelyne
est vraiment d’une taille imposante, me dis-je, presque anormale, et ses bottes
me font penser à un conte de Perrault. Bon sang ! Mais oui ! Ce sont
des bottes de sept lieues ! Et nous tous derrière elle, en cortège, avec
nos petites lucioles sur le front, nous avons l’air d’une bande d’enfants
perdus. Ou au mieux d’une maternelle en classe promenade, marchant au pas
derrière la maîtresse d’école. Mais non, qu’est-ce que je raconte ? Pourvu
qu’elle ne sorte pas une flûte, comme le joueur de flûte de Hamelin, et ne nous
emmène pas tous nous noyer dans le Doubs !
Mais au lieu
de cela, notre guide nous fournit fort aimablement des explications à chaque
fois que notre curiosité nous incitait à lui poser des questions. J’étais
presque rassuré. Cependant, me souvenant du Petit Poucet, je prétextai un lacet
à refaire pour ramasser quelques cailloux blancs dans un massif de fleurs et
j’en emplis mes poches, pour le cas où. On n’est jamais assez prudent.
Nous nous
arrêtâmes et une dame se proposa pour nous lire un texte. C’était un extrait du
livre de Tolkien, le Seigneur des Anneaux. La lectrice avait choisi le passage
où Merry et Pippin se réfugient parmi les Ents. Pour ceux et celles qui ne sont
pas familiers du monde de Tolkien, je traduis. Deux êtres de très petite
taille, des Hobbits, sortes de Tom-Pouce, sont poursuivis par d’horribles et
sanguinaires créatures ; ils se réfugient dans les branches d’un arbre et
s’aperçoivent alors que celui-ci peut parler, bouger et même se déplacer avec
ses semblables. Personnellement, j’ai toujours beaucoup été charmé par ce
conte, mais, ce soir-là, dans la lumière crépusculaire, entre chien et loup, je
ne pus m’empêcher de frissonner à chaque fois que nous trouvions un arbre sur
le passage de notre petit cortège. Non, ce n’étaient pas des Ents, c’était le
saule pleureur de telle propriété ou l’érable pourpre de telle autre. Mais un
souffle de brise, et ces arbres s’animaient comme les Ents inventés par
Tolkien.
À mesure que
l’obscurité se faisait plus épaisse, Évelyne me semblait de plus en plus
grande, à la façon d’Alice au Pays des Merveilles ; elle nous guidait
maintenant vers les Combes Saint-Germain. Après la dernière maison, nous nous
faufilâmes sur le chemin de terre qui prolongeait la route, esquivant la
barrière qui en interdisait l’accès aux voitures. Cette fois, nos lampes
frontales devenaient vraiment utiles, nous évitant de marcher dans une ornière
pleine d’eau ou de nous faire accrocher la jambe par une ronce traîtresse. Je
m’apprêtais à poser discrètement mon premier caillou, quand une nouvelle pause
lecture fut ordonnée. Et, Ô surprise, le lecteur qui nous emmena avec lui en
visite dans son livre avait choisi les Contes de Perrault. Et le Petit
Poucet ! ce n’était pas possible que cela fût une coïncidence. Bien
que me sentant quelque peu ridicule, je décidai de continuer quand même mon
discret travail de balisage.
Après une
centaine de mètres, la guide nous fit tourner à droite et emprunter un sentier
plutôt sommaire ; en fait, il s’agissait plus d’une trace dans les herbes
hautes. Je pris soin de poser un autre caillou et repris ma place dans la file.
Nous traversâmes un champ, puis le sentier nous conduisit droit dans les
fourrés, pour nous faire franchir un fossé, qui n’était autre que l’ancien
canal d’irrigation ; plus d’un
faillit glisser avant d’arriver au fond, définitivement à sec ; enfin, la
sente se transforma en raidillon pour nous mener, au milieu des éboulis,
jusqu’au pied d’une falaise. Après avoir longé celle-ci sur quelques mètres,
nous nous retrouvâmes devant une cavité qui semblait profonde. L’ouverture ne
faisait même pas un mètre de diamètre et, pour y pénétrer, il aurait fallu
ramper. Une voix s’exclama :
– C’est la grotte du
Renard.
– Mais non, c’est la
grotte de la fenêtre !
– On y allait quand
j’étais gosse.
– Mais ça avait été muré,
non ? À cause des accidents.
– Eh bien le mur a dû être
démoli.
Une voix
puissante résonna derrière nous :
– Allez-y, vous pouvez
entrer, il n’y a pas de danger. Il y a une surprise au bout du chemin. Moi, je
suis bien trop grande pour vous suivre, je vous attends à la sortie.
Allons ! Pressons !
Je suis
persuadé que la majorité d’entre nous n’étaient pas rassurés, mais nous avions
plus peur de la guide et de sa voix impérieuse que de l’obscurité de la grotte.
Nous nous enfilâmes donc dans l’étroite galerie, à quatre pattes, à la queue
leu leu, pour un trajet qui nous sembla bien long. Mais rebrousser chemin
aurait été vraiment problématique, il aurait fallu aller tous à reculons faute
d’assez d’espace pour se retourner. Évelyne savait certainement où elle nous
envoyait, c’est une personne dont la compétence est reconnue et qui maîtrise
bien son sujet. Mais, pensais-je, elle aurait pu nous dire de mettre de vieux
habits, les genoux des pantalons vont en prendre un coup. Enfin, si le but de
la balade est de nous faire découvrir le Valentigney insolite, elle a vraiment
mis dans le mille.
Nos frontales
nous donnaient une apparence de mineurs de fond. Mais nous ne pouvions pas nous
voir, évidemment, je n’apercevais que les semelles et parfois l’arrière-train
de la personne qui me précédait. La situation était vraiment ridicule.
Pourtant, personne ne songeait à rire.
Enfin, nous
débouchâmes dans une salle, où l’on pouvait se tenir debout. Avec des soupirs
de soulagement, tout le monde se redressa et se frotta sommairement les genoux
un peu douillets, tapotant pour faire partir la boue et quelques cailloux
incrustés. Ensuite, nous regardâmes autour de nous. La salle était assez vaste
pour que nous nous y tenions tous sans être serrés. Au fond se dressait un
arbre sec, tout blanc sans son écorce. Au pied de son tronc, entre deux
racines, une source coulait doucement dans une petite vasque de pierre, dont le
trop-plein allait se perdre dans une crevasse. À côté était posée une boroille.
Quelqu’un dit :
– L’arbre à jus !
Et tout le
monde fut frappé par l’évidence. Nous avions trouvé l’arbre à jus. Ce n’était
pas un arbre fruitier, c’était une source issue d’un arbre, peut-être d’un
arbre sacré. Depuis combien de temps était-il là ? Comment y était-il
arrivé ? On resta quelque temps à échafauder des hypothèses, certains
tendirent leurs mains en coupe pour boire cette eau merveilleuse, puis l’un
d’entre nous demanda s’il n’était pas temps de s’en retourner. Un autre, plus
curieux, nous appela après avoir découvert, dans un recoin sombre de la grotte,
un escalier de pierre qui montait jusqu’à une trappe. Il fallait essayer, et la
perspective de ramper dans la galerie en sens inverse ne souriait à personne.
Mais tout le monde se sentait maintenant bien vaillant et de taille à affronter
d’autres mystères.
L’intrépide se
dévoua pour passer le premier. Arrivé à la trappe, il s’apprêtait à essayer de
la soulever quand, de l’autre côté, une main l’ouvrit complètement. On entendit
un bref échange de phrases, puis ce qui semblait un éclat de rire, et notre
éclaireur disparut dans l’issue bienvenue. Chacun alors lui emboîta le pas et
toute la bande se retrouva dans une cave éclairée d’une ampoule jaunâtre, à
l’abat-jour fait de toiles d’araignées.
Évelyne,
redevenue de taille normale, nous expliqua :
– Nous sommes dans la cave
du musée de la paysannerie.
Des questions
fusèrent, à propos de l’arbre à jus.
– Oui, c’était bien
l’arbre à jus.
– Mais ce n’était pas du
jus, c’était de l’eau !
– Avec un très léger
parfum de fruit...
– Ce n’était pas de l’eau
ordinaire, précisa notre guide. Dans les temps anciens, c’était un élixir de
longue vie, une source miraculeuse !
Et, comme elle
n’a jamais manqué de sens de l’humour :
– Vous ne vous êtes jamais
demandé d’où me vient mon énergie ? Mon secret, vous le découvrirez en
prononçant mon nom à haute voix. Mais pour l’instant, venez vous réconforter en
haut. Il y a des gâteaux et des jus de fruits.
François HEGWEIN
Quelques souvenirs de la soirée du 14 septembre 2013 à Valentigney
Pleuvra, pleuvra pas ? Allons-y ! |
Sans conteste, Évelyne, Gilles, you are for me for me formidables ! |
Luz-Mary à la faveur d'une éclaircie |
Heu, l'éclaircie fut brève... |
Textes lus :
-Léon Paul
Fargue Le piéton de Paris éd
Gallimard
-Baronne
D’Oberkirch Mémoires éd Mercure de France
-André
Beucler Gueule d’amour éd Folio
-Jules
Romains Belles Villes du matin (poème in l’homme blanc) éd Gallimard
-Claude
Nougaro Toulouse
-Frédéric
Taddéi D’art d’art tableau de Van Gogh Nuit étoilée, Arles
Franc-comtois, rends-toi ! Nenni, ma foi ! |
Grand merci Évelyne ! |
Sous le beau kiosque à musique |
On se met "au sec" au Musée ? |
Merci à vous tous ! |
Pour ceux qui n'étaient pas là, ce samedi 14 septembre, à Valentigney :
Au musée de la Paysannerie, François Hegwein a partagé une nouvelle, dans le cadre de la soirée patrimoine.
Ce texte figurera à la fin d'un recueil qui paraîtra début octobre 2013.
En voici le texte. (merci François !)
Carnet
de voyage
Pendant des années, ils étaient passés à côté de la
petite ville sans la voir. Ou juste pour y faire une course, un peu anxieux sur
l'endroit où ils allaient stationner. Car la petite ville avait la réputation
d'égarer systématiquement les étrangers, et les imprudents qui s'y aventuraient
en étaient venus à appréhender toute visite. C'était un fait, point. Comme les
épinards donnent du fer, comme une cuillère à café empêche les bulles du
champagne de s'échapper, comme la météo se trompe à chaque prévision, si l'on
se risque à Valentigney, l'on s'y perd. Du moins, c'était un fait pour les
habitants des communes voisines, un fait que l'on ne discute pas. Aussi nos
deux héros étaient-ils restés prudemment à l'écart, sauf de brèves incursions à
la librairie, au centre culturel ou dans un gymnase, au bord du Doubs, plus de
dix ans auparavant. Il est vrai que, ce soir-là, les circonstances étaient
spéciales : un dîner associatif pris en face d'un ancien activiste italien
reconverti en auteur de romans policiers, pendant que se déchaînait un groupe
de rockers anarchistes. Ces instants improbables n'étaient pas faits pour
planter des repères solides.
Après ces brèves visites, chacun de nos deux
voyageurs s'était fait en secret la remarque que, non, cela ne semblait pas si
difficile que ça. Mais ce n'était peut-être qu'un piège, pour faire tomber leur
méfiance et les attirer dans un labyrinthe de rues qui se ressemblaient toutes.
Après tout, ils n'avaient exploré que la périphérie. Et si on leur donnait un
nom, à ces deux-là ? Appelons-les Marius et Jeannette. C'est déjà pris,
mais je ne crois pas que le metteur en scène ou les acteurs du film m'en
tiendront rigueur.
Et puis, un jour, il y eut cette maison, une petite
maison mitoyenne dans leurs moyens, pour couler des jours tranquilles dans un
endroit plus sympathique que la barre d'immeubles sans âme qu'ils habitaient.
Une chance inespérée. Marius et Jeannette revinrent alors dans la petite ville,
en vélo, cette fois, et en la regardant d'un autre œil. Malgré les averses, c'était
le début de l'été. Il y avait une fête sur la place, là où l'on voyait encore
un kiosque à musique. Des groupes folkloriques dansaient. Et là, vraiment, en
se baladant en vélo dans les rues proches de leur future demeure, ils eurent
l'impression d'être partis en vacances et de découvrir leur lieu de
villégiature. Ils n'avaient parcouru que deux kilomètres depuis leur bloc, mais
se sentaient comme s'ils étaient arrivés au bord de la mer. C'est vrai qu'on ne
regarde pas les rues, la boulangerie, le marché de la ville où l'on passe ses
vacances comme les rues, la boulangerie et le marché de là où l'on habite. Là
où ils baguenaudaient, les gens ne les connaissaient pas. Cela n'empêchait pas
de se saluer, mais comme on salue les gens dans une ville où l'on n'est que de
passage. Après tout, est-ce qu'on ne devrait pas toujours regarder les lieux
comme si l'on était de passage ? On ne verrait pas les choses et les gens
de la même façon.
Il leur avait suffi de passer le pont, comme dans la
chanson de Brassens, pour que ce soit tout de suite l'aventure. C'était un joli
pont fleuri, franchissant le Doubs qui semblait une rivière redoutable mais au
milieu duquel un pêcheur en cuissardes, lançant sa ligne, semblait le gardien
de la frontière entre les deux mondes. Sur l'une des rives, des usines
désertées ou réaffectées indiquaient le passé ouvrier de la ville où Marius et
Jeannette allaient vivre désormais.
Il y eut bien des allées et venues, bien des travaux,
des bonjours aux personnes du quartier qui apprenaient à les reconnaître, puis
ce fut l'emménagement. Un qui ne parlait pas, mais qui avait tout compris et
qui devait exulter en silence, c'était le chat noir. Six ans sans sortir de
l'appartement, de crainte de se trouver enfermé dans l'escalier ou écrasé par
une voiture s'il parvenait à en sortir, et là il ronronnait devant la porte
ouverte sur la rue. Mais ses maîtres aussi se sentaient bien.
Quand les valises furent défaites, les armoires
remplies et le jardin bêché, le moment fut venu d'aller se perdre dans ces
fameuses rues. À pied, cette fois. Et sans s'inquiéter de ne pas retrouver son
chemin.
Pour commencer, il y avait tous ces noms de
quartiers. Ce n'est pas dans toutes les villes que l'on se repère ainsi. Pour
les Boroillots, dire « il habite à Pézole » ou « à la Novie »,
emmener les petits jouer « aux Longines », se balader « à
Sous-Roches », parler « des Buis » ou « des Bruyères »,
c'est très clair. Pour un profane, beaucoup moins. Mais quand on s'arme de
courage et qu'on part en explorateur comme Livingstone à la recherche des
sources du Nil, on va au bout du monde et l'on en revient avec des cartes. Ce
fut l'affaire de quelques dimanches d'hiver, et quel plaisir alors de retrouver
la petite cité, avec ses maisons groupant quatre logements, ses lampadaires,
ses petits jardins et même ses fils électriques et téléphoniques emmêlés comme
si plusieurs générations d'araignées géantes avaient tendu des fils à linge. À
la nuit tombante, sous la lumière des lampadaires qui commençaient à s'allumer,
c'était une petite rue presque romantique, toute pleine de mémoire ouvrière.
Dans la ville voisine, Seloncourt, au-dessus de la
falaise qui surplombait le Doubs, il y avait un bâtiment tout en longueur
construit au début du siècle dernier, que l'on appelait une caserne. En
d'autres pays, on aurait dit un coron. Marius y avait travaillé comme facteur
pendant plus de vingt ans et ce quartier était resté cher à son cœur. À la fin
de son circuit, il se retrouvait même dans un jardin situé au bord de la
falaise, surplombant le Doubs qui coulait en bas et de l'autre côté la ville de
Valentigney. Et voilà qu'il lui était donné d'habiter une rue datant de la même
époque, empreinte du même charme, habitée par un petit peuple sans manières
comme celui des Casernes. Ernest et Célestine, euh, pardon, Marius et Jeannette
avaient entendu affubler les habitants de Valentigney du sobriquet de
"Fiers Culs". La personne qui leur avait rapporté cela ne devait pas
parler des mêmes gens. Il faisait bon rentrer chez soi dans une telle rue, même
sans avoir pu trouver quel nom portait le quartier.
Cette année-là, l'hiver fut précoce. À la nuit, sous les
flocons qui tourbillonnaient, les balades dans les rues de leur nouvelle ville
étaient encore plus belles.
Au printemps, il faisait un temps de chien. Le jardin
présentait le spectacle déprimant de quelques plants atrophiés qui ne se
décidaient pas à grandir, dans la terre gorgée d'eau froide. Puis le soleil
revint réchauffer le monde et le moment arriva de sortir un peu de la ville
pour découvrir à quoi ressemblait la forêt alentour. Marius savait qu'il s'y
trouvait des grottes qui avaient abrité des hommes des millénaires auparavant.
Avec Jeannette, ils partirent en vélo jusqu'au bout des Combes Saint Germain,
où ils attachèrent leurs montures à une barrière de bois pour continuer à pied.
Oh, le coin de nature qu'ils découvrirent n'avait pas les dimensions d'un
continent, mais il y avait des prés pleins de fleurs sauvages, le Doubs sur la
gauche et des rochers sur la droite. Trop de ronces empêchaient qu'ils aillent
y chercher les grottes de la Baume. Il faudrait revenir, dûment chaussé et avec
un pantalon à l'épreuve des épines.
C'est avec Tom, le petit-fils de Jeannette, que
Marius repartit à la recherche des fameuses grottes. Tom avait l'âge où l'on
peut se prendre pour le héros de l'Île au Trésor, même si la quête ne fut pas
si longue ni si périlleuse. Débouchant sur un sentier forestier, en haut des
rochers, ils tombèrent sur une connaissance de Marius, qui leur indiqua le
chemin. Le promeneur leur apprit même qu'ils avaient dû, pour arriver jusque
là, franchir un canal asséché, un canal d'irrigation qui coulait jadis dans la
ville pour y amener l'eau du Doubs. Une rivière, des bois, des grottes, les
vestiges d'un canal que l'on pouvait imaginer au milieu des rues, des cités
pleines de mémoire à découvrir, mémoire évoquée par une grande fresque murale
sur le pignon de l'une des usines, c'est plus qu'il n'en faut pour combler tous
les désirs de rêverie, et sans doute pour bien des années.
Septembre 2013
La Place Émile Peugeot |
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